13 janvier 2006

Compagnons

Je n'ai jamais eu beaucoup de succès avec les filles. C'est ce que je me suis toujours dit. Adolescent, j'avais plus d'amies que de petites amies. Bien sûr j'ai eu quelques conquêtes, par ci par là, quelques Françaises, une Allemande, une Suisse et même une Italienne. Européen dans l'âme, je vous dis...

Quelques conquêtes, bien. Mais jamais celles dont je rêvais. Pas pour moi, Ketty, l'eurasienne du collège. Pas pour moi, Marine la belle blonde au teint pâle, inaccessible, divine, qui me parlait toujours en plissant les yeux, un regard plein de sympathie, de gentillesse, d'amitié...Mais c'est tout.

Pas pour moi non plus, Florence, ma meilleure amie, celle avec qui j'ai le plus appris, que j'ai le plus désirée. Plus qu'aucune autre. Je sais maintenant qu'il y a tellement d'amour entre nous qu'à notre manière, nous sommes bel et bien ensemble.

Et puis, il y a eu Marine. Qui a tout changé, qui m'a changé. Que j'ai aimée comme un fou et qui m'a brisée le coeur. C'est véritablement avec, pour et par elle que j'ai commencé à comprendre que peut-être, hé bien oui, il se pouvait que Yael plaise aux filles.

Et ça a été le grand tournant. Le moment où tu te rends compte que tu plais, même si tu comprends pas bien pourquoi, t'es moche bordel, mais apparemment elles n'ont pas l'air de le voir, elles t'apprécient, certaines succombent, et pas le petit boudin du village, non non, les vraies bombes sur lesquelles tu as fantasmé avec tes potes.

Oui, d'une certaine manière, tu prends conscience d'une forme de pouvoir, d'attirance, et tu apprends petit à petit à jouer avec, à la maîtriser, à la dompter, et tu remarques enfin,

(Mais putain pourquoi tu ne l'avais pas vu avant ?)

tu remarques qu'il y a quelque chose dans leur regard qui, au fond, te renvoie à ta propre image.

T'es bourré de complexes, ils t'éclatent à la figure, on voit qu'eux pourtant, ils sont là en permanence, on pourrait même dire que tu les sens sur ton visage, tes complexes. T'as jamais vraiment été seul. Toi et tes complexes, compagnons d'infortune. Toi et tes vieux complexes.

Mais quoi ? Ils partent où, quand elles te regardent en souriant ? Ils se cachent où ? Tu comprends pas, mais à vrai dire, t'essaies même plus. T'es presque beau maintenant, t'es presque beau, mon pote.

Et quand elle arrive, qu'elle te fait comprendre qu'elle est folle de toi, oui folle folle folle c'est ce qu'elle dit, c'est ce qu'elle te dit tout le temps, alors les jeux sont faits. Tout s'éclaire, évidemment, maintenant c'est clair, elle est folle de toi, depuis toujours, depuis le début, tu m'entends, depuis toujours, le début, avant que tu ne le saches, avant même que tu t'en doutes, elle t'aime de tout son coeur et elle est belle, elle est si belle, tu l'aimes quand elle te sourit, quand elle rit, quand elle se serre contre toi.

Et tu l'aimes, tu l'aimes lorsqu'elle embrasse ton visage, bourré de complexes, parce que ses baisers les font disparaître, c'est magique, ils s'évanouissent, elle t'embrasse, et chaque fois, ô Mon Dieu, oui, chaque fois, tu as envie de pleurer. Elle efface de ses lèvres des années d'inquiétude, elle efface des années, des siècles de frustration, elle efface des époques, des lieux et des espaces, elle efface des mondes,

(Ô Discordia, des mondes s'effondrent...)

elle te rend beau à toi-même, elle arrête le temps, mais merde comment elle fait ça ?

Et voilà comment l'amour te transforme vraiment,

(par la force des baisers, par la simple force des baisers)

tout ça c'était pas des conneries alors, tu te transformes vraiment, par la force des baisers, le matin y'a plus rien dans la glace, y'a que toi, toi sans tes complexes.

T'es tout seul. Tes vieux compagnons sont partis.

Et au fond de toi, tout au fond, dans le noir, tu entends un petit garçon pleurer. Lui et ses complexes, ce petit garçon d'une autre époque, ce petit garçon qui n'est plus, pleure tout doucement.

Et, sur un dernier baiser, il meurt.