21 avril 2006

Pour Gabi

La Vie n'est pas facile et elle est vraiment trop courte.

Isa me dit qu'il y a contradiction dans les termes : une vie difficile semble souvent trop longue.

Et voyez vous, j'ai du mal avec cet argument là.

Ou alors faudrait-il dissocier sa propre vie de la vie des autres. Quelque chose qui me semble impossible.

Comment a-t-on réussi à nous faire croire que nous vivions des vies séparées ? Qui nous a convaincu de ça ? Quelle imposture !
Je ne vis pas pour moi-même, je ne vis pas par moi-même, je vis par et pour les autres. Je vis dans les autres. Et leur vie est la mienne et ma vie est la leur.

Par cercles concentriques, nous aimons. Par cercles concentriques, nous faisons se rejoindre amis, parents, cousins, oncles, enfants. Et nous faisons de leur existence une part importante de la nôtre. Ils cohabitent avec nous, ils coexistent avec nous. Lorsque nous nous déplaçons, ils sont là. Là, en permanence, quelque part dans le coeur, ce petit organe magique qui contient des mondes infinis, des souvenirs, des sentiments et des histoires.

Nous ne sommes jamais seuls et au fond, nous le savons tous plus ou moins. Mais on l'oublie parfois. On n'y pense plus. On regarde son corps et on se fait "Je".
Alors le "Je" commence à croire qu'il est seul, le "Je" se pense monde et il s'en fait centre.

Le "Je" repousse, il écarte, il rejette et il crée l'Autre, le dehors, l'extérieur. Il y a "Je" et le reste. Il y a "Je" et "Ils". "Je" et les "Autres".
Le "Je" délimite, et tout est plus simple, tout est plus clair. C'est Apollinien.

Mais voici que La Mort arrive, et qu'elle nous ôte un être qui nous est cher. D'un coup d'un seul, la supercherie éclate, le mythe s'effondre.

Le "Je" s'effondre. Il dit qu'une partie de lui vient de s'envoler. Il se sent diminué, nu. Il se sent amoindri, arraché à lui-même. Quelqu'un nous manque. On se manque à soi-même. Le "Je" pleure ceux qu'il avait oubliés. Il pleure "les Autres" et se dit qu'il a eu tort de croire qu'il pouvait s'en séparer.

Il voudrait mourir lui aussi, mourir de sa bêtise, mourir de sa naïveté. Tout serait plus simple, encore une fois. Si l'Autre s'en va, "Je" ne sers à rien.

Mais la Vie est une garce. Elle rit aux visages en pleurs et elle dit : "Continue".

Le "Je" est à genoux et il souffre sans fin. Il s'écorche le soi. Il endure. Il attend le coup de grâce. Qui ne vient pas.

Et puis La Mort s'en va. Elle s'éloigne. Elle se fait discrète.

Mais le "Je", lui, est toujours à genoux. Et lorsqu'il lève les yeux, c'est La Vie qu'il voit revenir.
Alors, rassemblant toutes ses forces, submergé par la haine, le "Je" contemple La Vie et la traite de salope.

Et dans un mouvement de résistance surhumaine,
comme pour joindre le geste à la parole,
il se relève.