"L'aveu est devenu, en Occident, une des techniques les plus hautement valorisées pour produire le vrai. Nous sommes devenus, depuis lors, une société singulièrement avouante. L'aveu a diffusé loin ses effets : dans la justice, dans la médecine, dans la pédagogie, dans les rapports familiaux, dans les relations amoureuses, dans l'ordre le plus quotidien, et dans les rites les plus solennels ; on avoue ses crimes, on avoue ses péchés, on avoue ses pensées et ses désirs, on avoue son passé et ses rêves, on avoue son enfance ; on avoue ses maladies et ses misères ; on s'emploie avec la plus grande exactitude à dire ce qu'il y a de plus difficile à dire ; on avoue en public et en privé, à ses parents, à ses éducateurs, à son médecin, à ceux qu'on aime ; on se fait à soi-même, dans le plaisir et la peine, des aveux impossibles à tout autre, et dont on fait des livres.
On avoue - ou on est forcé d'avouer. Quand il n'est pas spontané ou imposé par quelque impératif intérieur, l'aveu est extorqué ; on le débusque dans l'âme ou on l'arrache au corps. Depuis le Moyen Age, la torture l'accompagne comme une ombre, et le soutient quand il se dérobe : noirs jumeaux.
[...]
L'obligation de l'aveu nous est maintenant renvoyée à partir de tant de points différents, elle nous est désormais si profondément incorporée que nous ne la percevons plus comme l'effet d'un pouvoir qui nous contraint ; il nous semble au contraire que la vérité, au plus secret de nous-même, ne "demande" qu'à se faire jour ; que si elle n'y accède pas, c'est qu'une contrainte la retient, que la violence d'un pouvoir pèse sur elle, et qu'elle ne pourra s'articuler enfin qu'au prix d'une sorte de libération. L'aveu affranchit, le pouvoir réduit au silence ; la vérité n'appartient pas à l'ordre du pouvoir, mais elle est dans une parenté originaire avec la liberté : autant de thèmes traditionnels dans la philosophie, qu'une "histoire politique de la vérité" devrait retourner en montrant que la vérité n'est pas libre par nature, ni l'erreur serve, mais que sa production est tout entière traversée des rapports de pouvoir.
L'aveu en est un exemple.
Il faut être soi-même bien piégé par cette ruse interne de l'aveu, pour prêter à la censure, à l'interdiction de dire et de penser, un rôle fondamental ; il faut se faire une représentation bien inversée du pouvoir pour croire que nous parlent de liberté toutes ces voix qui, depuis tant de temps, dans notre civilisation, ressassent la formidable injonction d'avoir à dire ce qu'on est, ce qu'on a fait, ce dont on se souvient et ce qu'on a oublié, ce qu'on cache et ce qui se cache, ce à quoi on ne pense pas et ce qu'on pense ne pas penser."
Michel Foucault, Histoire de la sexualité - La volonté de savoir
On avoue - ou on est forcé d'avouer. Quand il n'est pas spontané ou imposé par quelque impératif intérieur, l'aveu est extorqué ; on le débusque dans l'âme ou on l'arrache au corps. Depuis le Moyen Age, la torture l'accompagne comme une ombre, et le soutient quand il se dérobe : noirs jumeaux.
[...]
L'obligation de l'aveu nous est maintenant renvoyée à partir de tant de points différents, elle nous est désormais si profondément incorporée que nous ne la percevons plus comme l'effet d'un pouvoir qui nous contraint ; il nous semble au contraire que la vérité, au plus secret de nous-même, ne "demande" qu'à se faire jour ; que si elle n'y accède pas, c'est qu'une contrainte la retient, que la violence d'un pouvoir pèse sur elle, et qu'elle ne pourra s'articuler enfin qu'au prix d'une sorte de libération. L'aveu affranchit, le pouvoir réduit au silence ; la vérité n'appartient pas à l'ordre du pouvoir, mais elle est dans une parenté originaire avec la liberté : autant de thèmes traditionnels dans la philosophie, qu'une "histoire politique de la vérité" devrait retourner en montrant que la vérité n'est pas libre par nature, ni l'erreur serve, mais que sa production est tout entière traversée des rapports de pouvoir.
L'aveu en est un exemple.
Il faut être soi-même bien piégé par cette ruse interne de l'aveu, pour prêter à la censure, à l'interdiction de dire et de penser, un rôle fondamental ; il faut se faire une représentation bien inversée du pouvoir pour croire que nous parlent de liberté toutes ces voix qui, depuis tant de temps, dans notre civilisation, ressassent la formidable injonction d'avoir à dire ce qu'on est, ce qu'on a fait, ce dont on se souvient et ce qu'on a oublié, ce qu'on cache et ce qui se cache, ce à quoi on ne pense pas et ce qu'on pense ne pas penser."
Michel Foucault, Histoire de la sexualité - La volonté de savoir