11 octobre 2005

Ô Discordia

Le petit garçon court, il court, court, court comme seul un petit garçon qui cherche à fuir les démons qu'il s'invente peut le faire, il court et bien sûr il n'avançe pas, comment pourrait-il avancer dans un monde où les choses occupent toujours une place autre que celle qu'on leur donne, une place changeante et mouvante, parce que la réalité c'est de l'organique, le réel c'est du vivant qui bouge, qui remue, qui se convulse, qui se vomit et

(Ô Discordia, vois donc le monde comme il s'effondre)

il n'arrête pas de se vomir, c'est sans fin et ça ne s'arrête pas, non ça ne s'arrête pas.

Alors le petit garçon comprend enfin qu'il est piégé comme une mouche à merde dans une toile d'araignée, et pleure Mia, fille de personne et mère d'un seul, pleure pleure pleure le petit garçon qui ne s'enfuit pas, qui ne s'enfuit plus, qui ne bouge pas et qui ne bouge plus, à attendre "delah" le moment où les crocs se refermeront sur lui et que viennent les larmes, encore et encore.

Et puis apparaît le visage de son père, et voilà que le petit garçon se souvient, il se souvient de cette comptine qui parle d'un coeur caché dans un chiffon blanc et maintenant que les démons arrivent, maintenant que les monstres s'approchent,

(All at once the ghosts come back)

il s'en fout, il ne court plus, il ne pleure plus, il se met à chanter, à chanter aussi fort qu'il peut, parce qu'il se souvient du visage de son père et de ce coeur et de ce chiffon blanc, et bien sûr les choses qui rampent dans le noir ont peur, ce sont elles qui ont peur maintenant, et elles ont peur de ce chant de gosse qui emplit la pièce et bouffe l'obscurité, qui bouffe même les recoins où elles se terrent. Le petit garçon ouvre les yeux et entre ses larmes il voit les espaces cachés entre le monde des adultes et le monde des enfants qui rêvent, il voit les terres perdues où errent parfois des personnages imaginaires de l'ancien temps, celui de l'enfance. Il voit le monde tel qu'il est et le monde tel qu'il fut, il voit les mondes qui tournent et dansent les uns avec les autres et dans l'instantané de ce regard, il sait que le réel se donne à lui, dans sa nudité la plus extrême.

Alors quand la comptine s'achève, le petit garçon place dans son mouchoir blanc ses craintes et ses peurs et les jette à la face de tous les mondes et de ses démons. Tout s'éclaire et bien sûr les monstres disparaissent, et puis les mondes s'écroulent les uns sur les autres, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus qu'un, le monde des adultes, ce monde rassurant, rassurant comme le visage de son père, et en s'endormant le petit garçon se dit que vraiment, c'est dans ce monde-là qu'il veut rêver, c'est dans ce monde-là qu'il veut grandir, ce monde où les monstres tremblent devant des mouchoirs blancs qui recouvrent des coeurs et où le réel commence là où l'enfance s'achève.


Ô Discordia, des mondes s'effondrent qui en leur sein abritent des enfants qui rêvent.